Le cri d'alerte des associations de bénévoles qui luttent contre la précarité

26/07/2023 - article du Dauphiné Libéré
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Débordés par une fréquentation qui ne cesse d'augmenter et inquiets devant la baisse des moyens dont ils disposent, les bénévoles des associations qui luttent contre la précarité dans l'agglomération grenobloise ont interpellé les parlementaires et élus isérois pour qu'ils fassent remonter leurs problématiques. En espérant obtenir des réponses et des solutions.

« Cela fait un an que l'on parle de nos difficultés lors de nos réunions mensuelles. Un an que l'on se raconte la même chose : des taux de fréquentation qui explosent, de moins en moins de moyens, des coûts qui augmentent, des cas de plus en plus difficiles à gérer et pour lesquels nous ne sommes pas forcément formés... » Animatrice du Collectif des associations de bénévoles luttant contre la précarité, Nicole Pellerin déroule la longue liste des difficultés que rencontrent les structures membres et les personnes qui les animent. « Et nous sommes tous bénévoles », rappelle-t—elle.

Alors au début de l’été, les responsables de plusieurs de ces associations ont convié les députés et sénateurs du secteur, maires et élus métropolitains à un moment d'échange au Fournil, à Grenoble. « On les a invités à venir nous entendre. Car il y a une absence de moyens et de réponses des institutions pour nous aider dans nos missions. Et rien n'évolue : les situations n'avancent plus, il n’y a plus de place nulle part pour personne. Il y a même des projets qui ne sont plus accompagnés financièrement », déplore l'animatrice du collectif qui prédit : « Tout cela peut devenir très vite explosif. On voit des familles qui vivent dans leur voiture, des enfants qui dorment à la rue. La société ne prend pas en charge les plus faibles ».

Christine Allenet, présidente du lieu d’accueil La Bienvenue, dresse le même constat. « La société est de plus en plus égoïste. On est dans une spirale qui dysfonctionne complètement. Il manque des structures à taille humaine, qui puisse accueillir les gens et les restaurer, les écouter, leur redonner l’estime de soi. On est dans une cocotte—minute, c'est en train de bouillir. Il est vraiment temps que les élus fassent quelque chose ».

« C'est la catastrophe, appuie Eric Rocourt, président d’Amici, le Samu social de Grenoble. Pour les hommes seuls, tout s'est arrêté il y a six ans, il n’y a plus de solutions d'hébergement. Le système est complètement engorgé alors qu’il y a de plus en plus de personnes à la rue. On a même eu une personne qui dormait dans sa voiture devant le Chai (hôpital psychiatrique, NDLR) à Saint-Egrève parce que la place qui l'attendait n'était libre que la semaine d'après. ll y a un manque d’accompagnement par les services sociaux. Une personne que l'on sort de la rue a 90 % de chances d’y retourner parce que les assistants sociaux sont débordés et ne peuvent plus suivre ».

Cette "vague" de précarité, Francoise Dessertine, la présidente de la Banque Alimentaire de l'Isère , la voit aussi arriver. Lors de la réunion, elle a notamment pointé les difficultés causées par la loi contre le gaspillage alimentaire qui, en permettant aux grandes surfaces de vendre jusqu'à un jour avant la date limite, a réduit drastiquement en quantité et en qualité les denrées récupérées et redistribuées.

En parallèle, la structure a vu le nombre de ses bénéficiaires exploser. « C'est encore pire que ce qu'on pensait en début d’année. On est à + 20 % depuis 2022 et + 51 % depuis 2019 ! Cela nous fait changer d'échelle, on est sur des tonnages vertigineux, cela pose des soucis de stockage, de maintien de la chaine du froid, c’est une réorganisation permanente de nos process ».

Au café associatif Nicodème, installé dans le centre de Grenoble, qui propose des repas et un accueil de jour, les charges ont aussi augmenté cette année du fait de l'inflation et de la hausse du prix des énergies. « Nous sommes passés au tout électrique et cela a eu un impact considérable sur notre budget. Nos frais ont augmenté aussi sur l'alimentaire puisque 20 % de nos produits viennent de la Banque Alimentaire de l’Isère mais le reste, nous l’achetons. Rien que pour les soupes du soir que nous organisons deux soirs par semaine en alternance avec d’autres structures, cela représentait 4 800 € l'an dernier. Et le nombre de personnes accueillies est de plus en plus important », soupire la présidente, Agnès Verdillon.

Des conditions qui pèsent sur le moral des bénévoles. « C'est stressant pour eux, ils se demandent s'ils vont y arriver. Et les profils ont changé, on voit des gens qui basculent dans la précarité alors qu'ils n’auraient jamais pensé en arriver là. ». La responsable insiste : «Il ne faut pas que l'État nous lâche ! »

Pour se faire entendre, le collectif prévoit d’interpeller jusqu'aux sommets de l'État. « On va écrire au président de l’Assemblée nationale. On se dit que si nous, bénévoles, on n'arrive pas à se faire entendre, on va faire une pause. On ne peut pas sans cesse pallier les manques des services publics. Il faut nous donner des moyens. On en a de moins en moins ».

Albane Pommereau


Repère : les membres du collectif


Le Collectif de bénévoles luttant contre la précarité existe depuis près de trente ans. En voici quelques membres :

  • Banque Alimentaire de l'Isére
  • Secours catholique
  • Restos du cœur
  • La Bienvenue
  • Nicodème
  • Le Fournil
  • Femmes SDF
  • Le Diaconat protestant
  • Rialto/Issue de Secours
  • Vieux Temple/Accueil SDF
  • Episol
  • ATD Quart—Monde
  • AMICI
  • Point d'eau
  • L’Association de bienfaisance eybinoise


60 000


C’est le nombre d'habitants de la Métropole de Grenoble dont le niveau de vie se situe sous le seuil de pauvreté et qui vivent avec un revenu mensuel médian de 870 € par mois selon le diagnostic social effectué sur le territoire. Ces ménages sont plus nombreux à Grenoble, Saint—Martin-d'Hères, Echirolles, Le Pont-de-Claix et Fontaine.

Marie-Noélle Battistel, députée : « Une situation de crise et d’urgence sociale »

La députée Marie-Noëlle Battistel a participé à la réunion organisée début juillet au Fournil à Grenoble. Celle qui affirme être « régulièrement sollicitée » par les associations œuvrant en direction des plus fragiles dresse le même constat « accablant » : une fréquentation de ces structures en augmentation, y compris par des familles « qui vivaient bien jusque—la », témoignant « d’une hausse et d’un basculement dans la précarité d’un public qui en était éloigné » ; des bénévoles « démunis » face à la demande croissante et au manque de moyens financiers (exacerbé par l’inflation et l'explosion du prix des aliments); la saturation des services d’urgence (y compris des relais sociaux et psychiatriques) qui « se répercute sur des bénévoles qui ne savent pas quoi faire » ; une érosion desdits bénévoles « las » et « fatigués » qui « jettent l'éponge »... Et de lancer: « ll y a nécessité d'agir au plus vite. C'est un sujet crucial qu'il faut traiter maintenant ».

Au sortir de cette réunion, la députée iséroise a pris un engagement : celui de revoir les structures « dès la rentrée » pour travailler avec elles sur des propositions concrètes qui pourraient être intégrées dans la future loi de finances, au travers d’amendements, ainsi que dans d'autres dispositifs législatifs. « Je vais interpeller la nouvelle ministre en charge des solidarités et des familles (Aurore Bergé, NDLR) dans les tout prochains jours », dit-elle.

Alors même que la Première ministre Elisabeth Borne doit présenter au plus tard ce jeudi 27 juillet les contours du tant attendu (et maintes fois reporté) Pacte des solidarités, là aussi, la députée va se montrer très attentive: « Il faudra être vigilant. Ce Pacte des solidarités doit répondre à la situation de crise et d’urgence sociale que nous vivons ».

Ganaèle Melis