Le Fournil : 20 ans déjà et toujours aussi indispensable

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04/12/2015 - article du Dauphiné Libéré
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L’arrivée de l’hiver et la diversité du public rend l’accueil de jour plus complexe

Il n’est pas encore midi. Devant la porte d’entrée, les premières personnes patientent en discutant sous un soleil généreux pour la saison. Tous les midis, le Fournil situé rue George-Sand, fourmille au rythme des serveurs et des cliquetis des couverts. Entre 80 et 100 personnes viennent manger un repas équilibré préparé par Nasser, le chef-cuisinier. Ce jour-là, un tagine au poulet mijotait dans les grosses marmites de la cuisine dont les senteurs embaumaient la grande salle. Ici, les personnes aux faibles revenus, voire zéro ressources, trouveront toujours la porte ouverte grâce à l’équipe de dix personnes. Tout le monde est rodé. Les tables sont mises, les serveurs sont prêts et les convives ont faim. Ceux qui le peuvent paient leur repas 1 euro.


« Nous récupérons les produits alimentaires auprès de la Banque Alimentaire et auprès des grandes surfaces Casino et Simply », explique Joris Schotte, directeur du Fournil. Et avec le froid, l’accueil peut monter jusqu’à 120 personnes pour 80 places assises. « Ici, l’assiette est inconditionnelle, on ne regarde pas d’où viennent les gens. Seulement, on ne peut pas accueillir toutes les familles Roms, il n’y aurait plus de place pour les autres, alors on leur prépare des repas à emporter », ajoute le directeur.


Depuis l’ouverture de cet accueil de jour en 1995 grâce à l’action de feu Michel Dioudonnat, la sociologie des personnes a bien changé. Il n’y a plus seulement des personnes sans domicile accompagnées d’animaux, il y a aussi des femmes, des travailleurs pauvres, les bénéficiaires du RSA, les demandeurs d’asile en attente d’une réponse auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), et des Roms. Les lieux comptent 60 % de Français et 40 % d’étrangers (Roms, Albanais, Soudanais, Érythréens). « Les Français vivent dans la précarité mais la plupart du temps ils perçoivent RSA, un petit salaire et ont un petit logement. Pour les étrangers, venir ici est une question de survie », précise-t-on.


Chaque hiver, compte tenu de la diversité du public, l’accueil se complexifie. « On sent les peurs, les tensions, beaucoup se retrouvent dans une grande précarité psychique, ils ne savent pas où dormir et nous ne sommes qu’un accueil de jour », poursuit-il. Le Fournil consacre quatre après-midi par semaine, jusqu’à 17 heures, pour des ateliers culturels.


Avec les autres accueils de jour, Point d’eau, Local des femmes SDF, l’accueil Vieux-Temple et le Secours catholique, le Fournil s’est constitué en collectif afin d’être force de propositions.


Et il y a quelques jours, Le Fournil a appris des responsables de la Sem Sagès l’aménageur de la zac Flaubert qu’à la fin de l’année 2017 il leur faudra quitter les locaux actuels qui appartiennent à la Ville de Grenoble. Le terrain accueillera des logements.


« On nous dit de quitter les lieux sans que l’on sache où aller, nous n’avons aucune perspective. Il faut avoir conscience que nous contribuons à la paix sociale », rappelle Joris Schotte.

 

François : « Heureusement qu’il y a des lieux comme ça qui réchauffent »

 

Sa présence ici est improbable pour ne pas dire incongrue. « Le pire c’est qu’il y a peu de temps j’étais de l’autre côté, j’étais bénévole au Resto du coeur. » François, 61 ans, a travaillé 41 ans, il a bossé un peu partout, dans la grande distribution, en tant que décorateur, auprès des enfants handicapés… Il a donc cotisé pour une retraite pleine d’environ 1 100 euros. Seulement, alors qu’il habitait Annecy, il a pété les plombs.


« Je n’arrive pas à me l’expliquer, ça paraît incroyable, j’en ai eu marre de tout. J’ai sombré dans une sorte de dépression avant de partir dans l’inconnu du jour au lendemain ». Il prend un billet au hasard pour Grenoble et se retrouve sans rien. Il frappe donc à la porte du Fournil pour manger et tisser du lien social. François qui loge à Perce-Neige, a rendez-vous avec une assistante sociale et promet de reprendre le chemin de ses droits qu’il peut prétendre à la retraite. « Heureusement qu’il y a des lieux comme ça où vous rencontrez des gens, des lieux qui vous réchauffent un peu. »

 

Alain Denoyelle : « Nous allons travailler ensemble sur un nouveau lieu d’accueil pérenne et de qualité »

 

À la fin de l’année 2017, le Fournil devra quitter les locaux actuels car le terrain dans lequel il se trouve servira à la construction de logements d’une école et d’une Ehpad.


Même s’il reste quelques mois avant de partir, l’association s’inquiète un peu sur son sort. « Effectivement, l’aménageur a reçu l’association en octobre en présence de la Ville et du CCAS pour leur annoncer qu’elle devra déménager, confirme Alain Denoyelle, vice-président du CCAS, mais nous avons deux ans pour travailler ensemble à trouver un nouveau lieu. » Le projet sera porté par les différents partenaires que sont le conseil départemental, la DDCS, la région, la Métropole, l’ARS et la Ville de Grenoble.


« On travaillera sur un lieu d’accueil pérenne et de qualité, proche des transports en commun pour que le public qui fréquente le Fournil puisse venir facilement. »


Le Fournil qui fonctionne avec un budget de 330 000 euros par an, s’inquiète aussi des éventuelles baisses de subventions à un moment où l’argent public se fait de plus en plus rare.


« Je ne peux pas m’engager sur un montant constant, nous l’avons fait en 2015 et cela reste une priorité pour 2016. Nous sommes intervenus sur l’installation électrique de la cuisine. Nous sommes conscients de l’importance du Fournil, un maillon de la chaîne sociale qui remplit pleinement son rôle, reconnu par l’ensemble des partenaires. »