Dans les coulisses de la Banque Alimentaire

Accroche
27/11/2015 - dossier du Dauphiné Libéré
Corps
20151127DL

Dans les coulisses de la Banque Alimentaire

Aujourd’hui et demain, la collecte annuelle de la Banque Alimentaire va solliciter de très nombreux bénévoles et la générosité des clients des supermarchés. Une opération bien rodée depuis trente ans, qui rapporte un sixième des denrées distribuées aux démunis.

Les 160 bénévoles de la Banque Alimentaire de l’Isère (BAI) vont voir leur nombre se démultiplier aujourd’hui et demain. En effet, quelque 3 000 personnes seront sur le front dès ce matin pour participer à la collecte annuelle.  Un moment clé pour l’association. « Pour ce week-end-là, on fait jouer tous nos réseaux, les amis des bénévoles, les 85 CCAS et associations bénéficiaires, plus nos relais, comme les scouts, le Rotary club, les lycéens, les collégiens. »
Bernard Perry, président de la BAI, sait qu’il peut compter sur de nombreux alliés dans la lutte contre le gaspillage.
« Nous avons aussi l’aide d’Emmaüs, qui nous envoie des camions avec chauffeurs sur La Mure. Et sans échange, juste pour nous aider. »


La collecte, c’est un seul et unique rendez-vous avec les citoyens, « toujours aussi généreux. Nous ne leur demandons pas d’argent depuis 30 ans – même si nous allons faire une exception pour la cuisine trois étoiles [lire par ailleurs, NDLR]. La collecte annuelle, c’est important pour nous parce qu’elle nous permet de tenir toute l’année ».
C’est une des quatre sources d’approvisionnement de la Banque Alimentaire, avec la ramasse quotidienne, les marques agroalimentaires et l’Europe. « Sur l’ensemble de ces approvisionnements, nous voulons pouvoir donner 6 kilos par semaine pour une personne. Et dans ce panier, nous souhaitons qu’un kilo provienne de la collecte, soit 15 %. »


Bernard Perry se souvient qu’il y a six ans, « la collecte était de 160 tonnes. Nous avons beaucoup progressé depuis concernant notre présence dans les magasins. La générosité, elle, s’est maintenue, voire accrue. Ce qui fait que nous sommes passés à une collecte de 230 tonnes. Et nous visons les 250 tonnes. Mais attention, ce n’est pas une compétition, c’est un besoin sur le terrain ! »


L’homme, d’expérience, sait que la demande se fait de plus en plus forte. « Nous avons plus d’associations bénéficiaires et à l’intérieur desquelles il y a de plus en plus de personnes démunies. Et il faut se rappeler que quand on distribue à une personne 6 kilos dans la semaine, on ne lui donne pas de quoi manger toute la semaine, ce n’est qu’un complément. »


Alors depuis juin, Bernard Perry et toute son équipe préparent ce week-end de collecte. « On fixe le cadre et les orientations – le type de produits, l’ampleur des magasins, l’objectif en quantité et la communication à mettre en place. » Une logistique sans faille.


Et comme il n’y a qu’un grand rendez-vous par an, la Banque Alimentaire, pour ne pas se faire oublier le reste du temps, a développé une communication efficace : des camions habillés aux couleurs de l’association, rappelant les partenaires – « ils circulent beaucoup dans toute l’agglomération et nous rendent visibles » –, des événements médiatisés, des réunions avec des partenaires publics ou privés, avec des élus... Pour un fonctionnement toute l’année.

Des conserves, des pâtes, des petits-déj’ et un gilet orange…

Cette année encore, la Banque Alimentaire de l’Isère sera présente dans les grandes surfaces du département.

Vous ne pourrez pas rater ses bénévoles : ce sont les gilets orange postés aux entrées des magasins. Quelque 3 000 bénévoles, en équipes, seront dans 130 magasins, près de totems spécialement édités, grâce aux partenaires. Cinquante véhicules rapatrieront les denrées à Sassenage. Et dans les locaux, 50 bénévoles commenceront le tri (qui se poursuivra lundi). « Chacun sait ce qu’il a à faire », annonce Bernard Perry.


Cette 30e édition s’annonce bonne. Les besoins de la Banque Alimentaire s’orientent vers les conserves de légumes, de plats cuisinés, de poissons, vers les pâtes, le café et tout ce qui permet de prendre un solide petit-déjeuner

 

La ramasse quotidienne en images

 

7h30 - 7h45


Les bénévoles de la Banque Alimentaire de l’Isère se retrouvent dans les locaux de Sassenage. Dans un moment, la ramasse (une tournée des supermarchés) va commencer. Certains se rendront directement sur le parking du supermarché. Sylvain Géry, le directeur de la BAI, a défini les ramasses : des équipes de 2 ou 3 personnes pour 5 tournées, puisque 5 camions sont prévus du lundi au jeudi afin de couvrir tous les partenaires. D’autres bénévoles restent à la BAI et préparent les aliments secs qui seront distribués aux associations bénéficiaires avec les produits frais ramassés le matin même, pour des paniers complets.


7h50


Les équipes sont prêtes, les camions remplis de cartons vides pour trier et transporter les marchandises ramassées dans la matinée. La BAI possède des camions réfrigérés afin de garantir la chaîne du froid. À l’intérieur, une chambre froide permet également de stocker des produits frais dans des conditions d’hygiène optimum. Aujourd’hui, nous suivrons Florent, Olivier et Liberto sur leur tournée : Métro, à quelques centaines de mètres de la BAI, Carrefour Saint-Égrève et Carrefour Market de Sassenage. C’est parti !


7h57 - 8h45


À peine arrivés à Métro, ce magasin pour professionnels de la restauration, Olivier, Florent et Liberto sont attendus. Les employés les connaissent bien et ont déjà devancé leur venue en préparant les aliments qu’ils pourront ramasser. Le directeur du magasin, Jean-Pierre Bel, est un partenaire de la BAI de longue date (lire par ailleurs). Une fois les denrées alimentaires déposées dans le chariot, les bénévoles passent à la caisse… non pas pour payer mais pour biper chaque produit. Une opération qui sert à la fois au magasin (pour la défiscalisation) et à l’association. Tout est transparent dans les dons et les dates de péremption sont vérifiées. Il ne reste plus qu’à charger la marchandise dans le camion.


9h00


« Il suffit d’un mauvais week-end et, le lundi, on a plein de merguez, parce que les clients n’auront pas eu envie de faire de barbecue. On reçoit aussi des bananes dans des quantités incroyables », Alain Provost, de la BAI, commente ainsi les ramasses sur le parking de Carrefour Saint-Égrève. Le directeur, Jocelyn Anus, n’est pas là aujourd’hui, mais les bénévoles le connaissent bien. « Il est un partenaire très investi. Nous avons un espace dédié sur le parking. Les employés nous donnent des coups de main. » Lorsqu’ils arrivent dans ce supermarché, la marchandise invendue attend d’être triée et pesée : « Environ 500 kg par jour, quatre fois par semaine. Il y a des fruits et légumes – qui seront pesés –, mais aussi de la viande, des produits laitiers, des plats cuisinés et des viennoiseries – qui seront bipés. » Certains produits iront aux associations bénéficiaires de la Banque Alimentaire, d’autres permettront la confection des repas pour le restaurant Trois étoiles solidaires.


10h15


Après une ramasse à Carrefour Market, les bénévoles rentrent. Dans leurs camions, les produits vont être triés une fois déchargés. On ne perd pas de temps, essentiellement pour respecter la chaîne du froid. À l’intérieur, ça fourmille… Les bénévoles sont de tout âge, de tout horizon, homme ou femme. Il n’y a pas un profil type.


10h30


Après avoir trié la ramasse du jour, les bénévoles ont trouvé les denrées qui iront à Seyssins dans quelques minutes. Là, dans la cuisine Trois étoiles solidaires, d’autres bénévoles concocteront un repas en inventant une recette dont ils découvriront les ingrédients dès que le camion arrivera.
 

« La cuisine solidaire permet d’aller plus loin dans cette lutte »

Parmi les gros partenaires privés de la BAI, on cite souvent les Carrefour de l’agglomération. Il en est un, moins connu du grand public, qui est depuis 1995 au côté de l’association : Métro. Ce grossiste pour les restaurateurs a donné l’année dernière quelque 50 tonnes de marchandise, « sans la viande », explique Jean-Pierre Bel, directeur. « Nous sortons la viande de la vente plus tôt encore, puisque nous sommes des intermédiaires. Et jusque-là nous la jetions. La cuisine trois étoiles solidaires est une solution pour aller plus loin dans la lutte contre le gaspillage. » Et, forcément, Métro peut donner de grandes quantités, une aubaine pour la cuisine. Au-delà de cette aide importante, Métro s’est lancé dans la sensibilisation de ses clients : « Un kit de conseils est donné, un kit de communication quant au “gourmet bag”, avec des stickers. Et on va proposer une aide aux associations qui veulent avoir une cuisine pour transformer la viande. » Comme le vendredi la BAI ne ramasse pas, Métro donne (hors viande) des produits frais aux Restos du coeur. « Si on ne faisait pas cela, tout partirait à la déchetterie et ça, ça fait mal au ventre ! »

Cuisine Trois étoiles solidaires, un concept “made in Isère”

C’est “LA” bonne idée antigaspillage. Et les initiateurs de la cuisine Trois étoiles solidaires n’en sont pas peu fiers. « Attention, ce n’est pas un restaurant ! », lance Bernard Perry, qui commence à avoir l’habitude de la confusion. « Non, c’est une cuisine où l’on prépare des plats avec la viande ramassée le matin et des légumes. Ensuite, les plats sont mis dans des barquettes et distribués le lendemain. »


Jusqu’en octobre et le début de cette nouvelle opération, la viande était le talon d’Achille de la Banque alimentaire. « On nous la donne un jour avant la date limite de consommation. Le temps qu’elle arrive chez une personne démunie et que celle-ci la cuisine – si elle en a les moyens –, la date peut être dépassée. Donc, on ne la prenait pas. »
Et le sentiment d’impuissance était grand. Des tonnes de viande qui partaient à la benne et, en face, des personnes qui n’ont pas les moyens d’en acheter. « Ça fait des années qu’on y réfléchissait », avec Anna Lavedrine, présidente de l’association Accueil du Vieux-Temple des SDF, et Bernard Pavy, patron de quatre restaurants à Grenoble.


Depuis septembre 2014, le collège Marc-Sangnier de Seyssins n’utilisait plus sa cuisine. Un partenariat avec le Département a permis à la BAI de signer une convention et d’investir « gracieusement » les lieux. « Nous avons fait des aménagements. Et depuis le 5 octobre, Christian Chédru, ancien directeur des cuisines de la Ville de Grenoble, des apprentis de l’IMT (Institut des métiers et de techniques) et de Pierre Pavy, des bénévoles de la BAI préparent tous ensemble des repas. »


Le défi quotidien de Christian Chédru est de trouver une recette à réaliser avec les produits de la ramasse qu’il ne connaît pas – forcément – à l’avance.


Si le nom de la cuisine est “Trois étoiles solidaires”, c’est aussi parce que « ce sont des repas de qualité. Les retours sont bons, voire excellents. Nous sommes surpris de la qualité de la viande », se réjouit Bernard Perry. Autre succès, la viande arrive en grande quantité. « Pour l’instant, nous sommes à 100 kilos de viande par jour, soit 600 repas. Notre objectif est de passer à 200 kilos pour 1 200 repas. » Et cela quatre jours par semaine (comme les ramasses), du lundi au jeudi, même pendant les congés scolaires, « puisque nous sommes indépendants du collège ».


Ceci dit, les charges ont augmenté avec la création de cette cuisine. « Christian Chédru est salarié. Il nous faut également compter le prix des barquettes alimentaires, même si nous avons des prix, et des vêtements de travail. Ce coût-là est une difficulté, puisque nous n’avons pas d’activité commerciale. Pour l’instant, seul l’État a annoncé la couleur de sa participation, même si beaucoup de nos partenaires publics et privés nous soutiennent. »
Alors, pour faire face, la Banque Alimentaire de l’Isère change, un peu, ses habitudes et demande de l’aide en monnaie sonnante et trébuchante pour la première fois. « Nous avons, avec la Banque Populaire des Alpes, lancé une opération de crowdfunding [financement participatif]. Il nous manque un tiers des 100 000 euros pour que ça tourne. »

(pour le financement participatif, cliquer ici)