Faire face au gaspillage et à la précarité

Collecte nationale
28/11/2019 - dossier du Dauphiné Libéré
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Faire face au gaspillage et à la précarité

Vendredi et samedi, ce sera le rendez-vous de la Banque Alimentaire avec le public : la grande collecte annuelle. Une fois de plus, l’association qui lutte contre la précarité et le gaspillage, a besoin de vous.

Ce week-end, vous trouverez, une fois de plus, les gilets orange à l’entrée des magasins du département. Comme chaque dernier week-end de novembre, la Banque Alimentaire de l’Isère (BAI) fait appel à la générosité du public pour collecter des produits secs (féculents, conserves de poisson ou de légumes, plats cuisinés…). Ces denrées permettront aux bénévoles de préparer des paniers pour les plus démunis. Paniers réalisés également avec des produits frais ramassés quotidiennement qui, sans cela, auraient fini à la poubelle.

En 2018, « on a sauvé 1 000 tonnes de produits frais sur l’ensemble du territoire », se félicite Christian Chédru, président de la BAI. Ces produits proviennent aussi des cuisines centrales du Département, de Grenoble, de Saint-Martin-d’Hères, du Crous et de l’hôpital. « Des plats cuisinés mais non présentés à la suite d’un absentéisme, un mouvement social, des patients qui ne restent pas… »

Le président se réjouit de voir « la réglementation évoluer. En 2025, toutes ces structures-là devront trouver une solution pour leurs excédents ». 2025, c’est loin… « Oui, mais les grandes collectivités y sont déjà et, dans les petites, les excédents sont forcément moindres. Bien sûr, d’ici 2025, il y a encore du chemin à faire mais nous ressentons fortement une vraie prise de conscience. » Autre source d’approvisionnement qui grandit : « Les plateformes de stockage. On récupère les excédents, comme à Saint-Quentin-Fallavier. La qualité de produits est très bonne. »

Christian Chédru reste modeste. Toujours est-il que la BAI est à l’origine de cette démarche « mais on a eu une belle écoute. La BAI est connue, reconnue et la confiance est là ». Une confiance qui va bien au-delà d’ailleurs des collectivités. « À l’occasion de la grande collecte annuelle, on reçoit des appels d’entreprises privées qui veulent nous aider. » À l’image d’un bar grenoblois qui fêtera son quinzième anniversaire et qui pendant deux jours fera une collecte : un produit alimentaire contre un cocktail de jus de fruit. « Notre collecte se répand tranquillement. Même dans les écoles, les clubs de sport, des salles de concerts. »

De même, les industries agroalimentaires (IAA) jouent parfaitement le jeu de la lutte contre la précarité et du gaspillage en donnant « des lots de produits non-conformes en termes de vente ».

Cependant, la BAI doit être sur tous les fronts pour ne pas voir la solidarité institutionnelle diminuer. L’une des principales sources de produits secs, c’est l’Europe mais « le fonds en question arrive en fin de vie en 2020. Avec toutes les têtes de réseaux (Secours populaire, Croix-Rouge, Restos du coeur), on fait le forcing sur les députés européens pour faire en sorte que la ligne budgétaire sur ce dispositif soit maintenue voire augmentée », explique Christian Chédru qui revient du Parlement européen.

Dans cette lutte contre le gaspillage, « qui est notre vocation », les idées ne manquent pas et se transforment en actions. Comme les confitures : entre 80 et 100 pots sont confectionnés tous les mercredis par des bénévoles et des bénéficiaires. « Les fruits utilisés sont issus de la ramasse mais non-consommables en l’état. » Un rendez-vous anti-gaspillage et un moment d’échanges fort.

Aujourd’hui, Christian Chédru travaille beaucoup au niveau régional des Banques Alimentaires, dont il est aussi le président. « On a un dispositif qui permet une répartition des denrées. Quand on a des lots de produits des IAA assez conséquents, on fait le tour des BA départementales pour les aider. Inversement, on peut en bénéficier. Parce qu’on ne peut pas avoir des pauvres plus pauvres dans un département. »

Katia CAZOT

Mesdames, Messieurs les candidats aux municipales…

La BAI accompagne 5 800 bénéficiaires chaque semaine, ce qui représente 27 000 personnes différentes.

Si la relation avec l’État, la Région et le Département est limpide, il reste les collectivités « au travers des CCAS et des CIAS », lance Christian Chédru, qui note que « le bilan est encourageant. Certains maires ont cette notion de partage de solidarité et de vivre-ensemble ». La solidarité, c’est « de l’implication ». Il lance alors un appel aux candidats aux municipales 2020 : « Futurs maires, on a besoin de vous et vous avez besoin de nous pour accompagner les personnes en difficulté. »

Dans cet appel, le président de la BAI pense « aux subventions bien évidemment » mais pas seulement. « Nous avons besoin, et nos associations partenaires ont besoin, de locaux pour accueillir correctement les personnes en difficulté. » Il évoque aussi « les experts, les techniciens de l’hygiène, logement, finances », qui fourmillent dans les services d’une mairie et qui « peuvent nous aider à aider ».

Christian Chédru se souvient avoir rencontré un maire qui « après m’avoir félicité sur la BAI, m’a dit vouloir arrêter sa subvention parce que la commune d’à côté ne donnait pas. Mais il s’agissait, à côté, d’une toute petite ville ! » Ce type de discours, il ne le supporte plus.

K.C.

100 tonnes de viande sauvées

« Mais dans quel monde vit-on ? On fait de l’élevage intensif pour jeter finalement un tiers de la viande à la poubelle. » Le constat désespère Emmanuel Binder. « Quelque chose ici n’est pas ajusté. »

Alors, le chef de la Cuisine trois étoiles solidaires de la Banque Alimentaire de l’Isère est fier d’avoir sauvé, en quatre ans, cent tonnes de viande. De la nourriture qui provient de la ramasse quotidienne réalisée par les bénévoles dans les enseignes. Du lundi au jeudi, à 10 heures, dans la cuisine du collège Marc-Sangnier à Seyssins appartenant au Département, arrive le camion estampillé BAI, chargé de viande dont la date limite de consommation arrive à son terme. « En la cuisinant à plus de 63 degrés, puis en la refroidissant en deux heures, nous lui redonnons cinq jours. Un miracle réalisé chaque jour. » Qui réclame une organisation digne d’un chef d’orchestre.

Le défi, pour ce chef, c’est qu’au moment d’ouvrir le camion, il ne sait absolument pas quels morceaux de viandes il va recevoir. Il a donc quelques minutes seulement pour laisser parler sa créativité et trouver entre 15 et 25 recettes différentes. « Il faut immédiatement trier la viande », par animaux mais aussi par cuisson, lente ou rapide. Pendant que les bénévoles, voire les apprentis, préparent les légumes ou les pâtes « mais des pâtes jamais seules ». Tout se met alors en route pour que 150 à 250 barquettes puissent être distribuées aux bénéficiaires, soit 600 à 1 000 repas par jour. Des repas mijotés « sans gaspillage » et « d’une très grande qualité. Quel bonheur de savoir que des personnes démunies vont pouvoir déguster des morceaux de viande que jamais elles n’auraient pu se payer » et qui auraient dû être envoyés à la benne.

Emmanuel Binder n’a pas encore ouvert les portes du camion que déjà l’Association régionale pour l’insertion (Arepi) l’appelle et lui commande pour 16 h 30, 80 barquettes, soit 360 portions, dans le cadre du plan hivernal. Une priorité. Aller vite pour aider ces personnes « en leur préparant le meilleur » sans rien jeter.

K.C.

Les bénéficiaires de la Banque Alimentaire de l’Isère

  • 70 % sont des femmes.
  • 85 % ont un logement stable.
  • 70 % vivent avec moins de 1 000 € net par mois et par foyer.
  • La BAI ne distribue jamais directement aux bénéficiaires. Ce sont les 95 associations partenaires, dont 21 CCAS, six antennes de la Croix-Rouge et sept épiceries solidaires, qui s’en chargent.

 

Un Agoraé sur le campus d’ici mars 2020 avec les produits de la Banque Alimentaire de l’Isère

On le sait depuis quelques semaines, un Agoraé, sorte de lieu d’échanges et de solidarité intégrant une épicerie sociale et solidaire à destination des étudiants en difficulté, va ouvrir ses portes sur le campus martinérois l’an prochain. Ce sera d'ici mars 2020, dans un local de 100 m², propriété du Crous, qui abritait jusque-là le secrétariat de la résidence ouest, située du côté de la rue des Taillées.

La démarche, née en 2008 au niveau national, à l’initiative de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), est portée localement par InterAsso Grenoble Alpes qui fédère des associations de la Communauté d’universités et d’établissements (ComUE) Grenoble Alpes.

Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que le projet, auquel l’association « réfléchit depuis deux ans », selon Marie Fernandez, présidente d’InterAsso, aurait eu moins de chance d’aboutir sans la Banque Alimentaire de l’Isère qui va fournir l’essentiel des denrées proposées aux étudiants bénéficiaires du dispositif. Et cela vaut aussi bien pour le campus isérois que pour les autres. « Dans les faits, la Fage a noué un partenariat avec les principales Banques Alimentaires qui existent. Cela se solde aujourd’hui par la présence de quelque 20 Agoraé sur le territoire national », précise-t-elle.

Sur le campus isérois, l’épicerie sociale et solidaire aura donc pour principal partenaire la Banque Alimentaire de l’Isère et son président Christian Chédru. Qui va fournir des produits frais comme secs à une quantité encore non arrêtée. « L’idée, c’est d’aider le plus grand nombre d’étudiants et notamment ceux n’ayant pas les moyens de s’alimenter correctement, à qui il reste 250 €, voire moins, pour se nourrir chaque mois », soulignent Marie Fernandez et Eva Challende. Le principe est le même pour tous les Agoraé : proposer des produits dont le montant correspond à 10 % du prix du marché. En gros, un panier de 9 € payé par un étudiant équivaut à des courses de 90 €.

Le local, équipé de frigo et autres rangements, devrait être ouvert du lundi au vendredi avec des permanences assurées par quatre personnels dont deux “services civiques”. Une centaine de bénéficiaires sont recensés pour l’ouverture, chiffre qui devra être étoffé au fil du temps en fonction du retour du questionnaire sur les conditions de ressources lancé par InterAsso en direction des étudiants du campus.

Ganaële MELIS

La qualité des produits frais passe (aussi) par la loi

Lors de la ramasse quotidienne dans les enseignes, « on s’aperçoit aussi qu'il y a une problématique ponctuellement de qualité de produit frais. Alors on fait ce travail de tri, sachant qu’on est à quatre tonnes par jour de produit frais. » C’est le constat du président de la Banque Alimentaire de l’Isère, Christian Chédru, ainsi que des bénévoles.

« Avec la loi Garot [relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, NDLR], en 2017, les enseignes de plus de 400 m² doivent donner leur surplus. »

Loin de s’en plaindre, Christian Chédru attend tout de même « un décret qui arrive obligeant l’enseigne à mettre en place un “plan de gestion qualité” ». Et d’expliquer : « Un référent de l’enseigne assure le tri et donne le plan de gestion à l’association qui fait la ramasse. On compte beaucoup dessus. D’autant que si on fait le tri ici, au local, il y a un coût de gestion des déchets qui peut nous revenir. On peut les accompagner puisque ça fait 35 ans qu’on fait ça. »

La BAI distribue 7 kg par bénéficiaire, 3,5 kg de produits frais et 3,5 de produits secs. « Ça répond pratiquement aux besoins d’un bénéficiaire pour une semaine. Des produits qui permettent de bien faire à manger. » Parce que l’autre point d’ancrage, « c’est la précarité alimentaire. Avoir un large choix de produits. On ne propose pas que des pâtes. Il y a de la viande, des légumes, des fruits, des produits laitiers. L’objectif, c’est de proposer un repas équilibré où on retrouve tous les besoins nutritionnels pour bien se porter ».

K.C.

Un camion cuisine itinérant

La Banque Alimentaire de l’Isère a un vrai poids dans le département. Mais son président note qu’il reste « des territoires blancs, où il y a pourtant de grosses difficultés : la Bièvre, les zones de montagne, les petits villages éloignés des agglomérations.
On n’y va pas et aucune structure associative ne nous interpelle, simplement parce qu’elles n’existent pas ».

Christian Chédru constate que ce sont souvent des retraités vivant dans leur maison mais « qui n’ont pas les moyens de bien manger ». Et de rappeler qu’en Isère « le taux de pauvreté est de 11 %, c’est-à-dire moins de 1 000 euros par foyer, à qui il reste 150 euros pour vivre ».

Alors une idée lui est venue. La Banque Alimentaire nationale a fêté ses 35 ans en 2018. Entre autres manifestations, elle a fait tourner dans les départements “un camion cuisine itinérant”. « Il est resté deux jours à Grenoble. D’abord au Jardin de ville, où on a cuisiné avec des bénévoles pour les associations partenaires. On a mangé avec 100 bénéficiaires. Un beau moment. Ensuite, à Sassenage, nous avions convié nos associations autour d’échanges sur nos compétences. Et le midi, on y a cuisiné pour l’ensemble des invités, dont le préfet, des députés, des sénateurs et des élus. »

Ce camion est actuellement l’objet d’un concours interne. Christian Chédru espère que les Banques alimentaires de la région le remportent. « Il nous permettrait d’aller à la rencontre des personnes éloignées. Elles pourront demander soit des produits alimentaires, soit participer à des ateliers cuisine. » Ce camion permet de confectionner jusqu’à 70 repas. « D’autant que la Cuisine trois étoiles solidaires peut l’accompagner. » Il y a aussi la place à l’intérieur pour accueillir des bénéficiaires « et échanger avec eux autour de recettes ».

Si les Banques Alimentaires de la région ne remportent pas ce camion, une autre solution est envisagée au niveau de l’Isère : « Des donateurs - fondations, collectivités… - pourraient nous accompagner sur l’achat d’un camion similaire. La Région, qui est très partenaire de la BAI, a un dispositif d’accompagnement des associations, et, depuis deux ans, les Banques Alimentaires de la région en ont bénéficié (camions, travaux…). Peut-être que pour ce camion cuisine itinérant, nous pourrions actionner ce levier. »

K.C.

500 000 €

C’est le budget de la Banque Alimentaire de l’Isère : 45 % viennent des collectivités (Département, Direction départementale de la cohésion sociale, collectivités et communes) ; 35 % de participation de solidarité et 20 % des entreprises partenaires, mécènes, sponsors et fondations, dons… « Si la BAI valorisait le travail de ses bénévoles et l’achat des produits, le budget serait de l’ordre de 7 millions d’euros », commente Christian Chédru.

 

La BAI aide les plus démunis à (bien) manger

Quatre millions de repas distribués par la BAI. 2 200 tonnes de denrées alimentaires. « Vu les quantités, on se pose la question de la santé publique. Quelles incidences de mal-manger : maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète… » Alors la BAI multiplie les activités. « En 2018, on est allés, avec une diététicienne, dans des écoles primaires et collèges pour les sensibiliser au gaspillage et expliquer ce qu’est un vrai petit-déjeuner. On veut évoluer sur ces actions : les enfants sont les adultes de demain. »

Sensibiliser les plus jeunes peut se faire parce qu’il y a « une écoute des élus à notre discours contre le gaspillage et pour le bien-manger ». Une reconnaissance pour l’association qui a largement fait ses preuves même dans l’urgence. « On accompagne le Samu social et le plan hivernal de la Direction départementale de la cohésion sociale en donnant des plats cuisinés à la Cuisine trois étoiles solidaires. Ça leur permet de manger chaud et c’est mieux qu’un sandwich. » En somme, « on fait de la délégation de service public : on aide et accompagne l’État, le Département et les collectivités ». Et réciproquement…