Le Grand Repas dans le Dauphiné Libéré

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03/12/2017 - Dossier du Dauphiné Libéré
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La Ville a ouvert un gymnase dans le cadre du plan Grand froid et, hier, elle invitait des personnes en grande précarité à manger chaud

Le Grand Repas, hier, a été servi à 875 personnes en grande précarité, par une centaine de bénévoles dans la halle Clemenceau. Pour la 4e année, la Ville de Grenoble, son CCAS, les Restos du cœur, la Banque Alimentaire et le Secours populaire ont organisé cet événement généreux, qui n’a pas manqué de passer un message politique.

 

Le Grand Repas : acte solidaire et politique

 
Pour manger chaud le lundi, il faut aller dans telle association. Le mardi, dans une autre. Et ainsi de suite jusqu’au week-end. Mais, hier, les victimes de la précarité avaient rendez-vous dans la halle Clemenceau pour LE Grand Repas. Celui-ci est offert, depuis quatre ans, par la Ville de Grenoble, son centre communal d’action sociale (CCAS), les Restos du cœur, la Banque Alimentaire et le Secours populaire. Les bénévoles de ces associations et d’autres (on a vu des gens de Point d’eau à Grenoble ou de la Chauve-souris à Fontaine) ont ainsi servi quelque 875 personnes.

Comme n’importe quel événement d’ampleur, celui-ci avait un message à délivrer, lors d’un rapide point presse. Des remerciements tout d’abord. « Ce samedi, nous rendons visible l’action des associations », a expliqué Alain Denoyelle, adjoint grenoblois à l’action sociale. Comme le point d’orgue d’une action régulière tout au long de l’année. « Cette journée est très importante pour nous », confirmait Christian Chédru, président de la Banque Alimentaire de l’Isère.

La journée d’hier portait également un message politique, alors que la Ville de Grenoble venait d’ouvrir un gymnase la veille, dans le cadre du plan Grand froid, piloté par la préfecture. Le maire EELV de Grenoble, Éric Piolle, a regretté ce « système qui ne fonctionne pas et une problématique qui s’accentue dès qu’il fait froid ».

Politique, la journée d’hier l’était forcément. À quelques mètres se tenait le forum Mediapart où intervenait Damien Carême, maire EELV de Grande-Synthe (21 000 habitants environ), connu pour son engagement en faveur des réfugiés. Éric Piolle l’avait convié à passer à la halle Clemenceau. « Éric m’a proposé de témoigner sur les solidarités qui doivent être mises en oeuvre, avec mon expérience et tout ce que je peux observer en France. Je suis surpris de voir à quel point les gens s’organisent pour accueillir des réfugiés. Les Français sont solidaires ! Sauf que ça ne devrait pas se passer comme cela. Je me demande combien de temps les bénévoles vont tenir […] Il faut faire quelque chose pour les mineurs isolés étrangers, parce que c’est un besoin criant. On n’est pas bon du tout sur ce sujet », a déclaré l’édile du Nord. Un sujet également évoqué, hier, par le maire de Grenoble.

Damien Carême poursuivait : « Il y a aussi la précarité de la population française qui augmente constamment. Et, aujourd’hui, cela ne repose que sur les épaules de bénévoles. Et ça commence à bien faire ! »

Éric Piolle et Alain Denoyelle ont profité de l’occasion pour évoquer les dispositifs de la Ville de Grenoble, mis en place après leur arrivée au pouvoir. Le village du Rondeau, par exemple, « où l’on accompagne 120 personnes », ainsi que les logements de la Ville laissés à des personnes dans le besoin. « Ça fonctionne bien », assure le maire. « L’objectif, c’est de montrer qu’on peut faire cela dans des conditions dignes […] avec un coût [plus faible que] les dispositifs hôteliers utilisés auparavant. » La solidarité autrement, en somme. Damien Carême posait la question : « Ouvrir un gymnase, est-ce vraiment la solution ? Non. »

Célia AMPHOUX
 
 

« Je veux montrer que les gens en galère sont capables »

«Un, deux, trois, souriez ! » Entourée de Mathéo, Lenny et Lola, ses trois enfants, Edwige attend impatiemment le résultat. Bientôt, des visages lumineux se dessinent sur le Polaroid. Loin des tracas du quotidien, les enfants profitent des animations de la halle Clemenceau, tandis qu’Edwige, amusée, les observe. C’est la première fois que la jeune femme est conviée au Grand Repas. L’année dernière encore, jamais elle n’aurait imaginé se retrouver assise à cette table avec ses enfants, aux côtés de gens qui, comme elle, se trouvent aujourd’hui en situation de grande précarité.

Tout commence il y a trois ans par quelques ennuis de santé. Un an d’arrêt de travail plus tard, le diagnostic est posé : Edwige souffre de troubles bipolaires. Une maladie qui la contraint à prendre des traitements lourds et à abandonner son poste de cuisinière. Son divorce en janvier dernier lui assène le coup fatal. Seule avec quatre enfants une semaine sur deux, sans emploi et sa seule pension d’invalidité en poche, Edwige se retrouve du jour au lendemain en situation de précarité. « Je n’avais jamais connu ça avant. Avec mon mari, on vivait bien. Aujourd’hui, je me retrouve avec 900 euros pour vivre. » Le loyer et le reste des factures payés, l’argent manque au moment de remplir le chariot. Contrainte de trouver une solution, elle se rend alors une fois par semaine aux Restos du coeur. « C’est une amie qui m’en a parlé. Moi, au début, je ne voulais pas. C’était une question de fierté », confie-t-elle d’une voix timide. Une peur d’être étiquetée et pointée du doigt qui l’a depuis quittée. « Ça m’est passé, tout ça. Aujourd’hui, je veux relever la tête et montrer que les gens dans la galère sont capables. Que nous ne sommes pas des “assistés”, comme ils disent. »

Malgré son invalidité, Edwige cherche depuis à reprendre le travail. Seule, elle parcourt chaque jour les pages de petites annonces et dépose quelques candidatures à droite et à gauche. Mais, entre la difficulté à trouver les offres et celle de gérer les affres du quotidien, se remettre dans le bain n’est pas toujours facile. Pour Mathéo, son fils aîné de 12 ans, la situation n’a pas tout le temps été simple à intégrer non plus : « Tout est allé vite, j’ai eu du mal à réaliser ce qu’il se passait », confie-t-il. Aujourd’hui, le garçon envisage les choses autrement et est persuadé d’une chose : sa mère s’en sortira. « Elle est courageuse et j’en suis fier. »

Juliette HAY
 

L’important, offrir « un moment hors du temps »


Sous le toit de la halle Clemenceau, les petites mains s’affairent avant l’arrivée des quelque 975 convives. Cette année encore, de nombreux bénévoles et associations ont répondu présent à l’appel d’Agnès Jacquemmoz, la responsable et instigatrice du Grand Repas. Du service à la cuisine en passant par l’animation, près de 150 personnes se sont ainsi relayées pour faire de cet événement un moment festif et agréable.

De leur côté, le centre communal d’action sociale (CCAS), la Banque Alimentaire de l’Isère, le Secours populaire et les Restos du coeur ont constitué, pour la quatrième année consécutive, la majeure partie des forces vives.

« Cette année, on a eu moins de difficultés pour trouver de l’aide, parce qu’on commence à se faire connaître. Près de 80 associations ont collaboré à l’événement », affirme Agnès Jacquemmoz d’un ton enjoué.

Un soutien supplémentaire, certes, mais qui nécessite une organisation au cordeau.

Christophe, qui chapeaute l’équipe de la Cuisine centrale, en sait quelque chose. Depuis vendredi, une dizaine de membres du personnel et lui sont mobilisés pour préparer le repas et assurer le service. « Ça nous demande beaucoup de travail, mais toute l’équipe est heureuse. C’est important de pouvoir partager », assure-t-il. Pour Arthur, membre des Restos du coeur et habitué du Grand Repas, l’important est d’offrir « un moment hors du temps » à ces personnes isolées et familles en grande difficulté.

Une vision partagée par la responsable, qui a tenu à ajouter une touche plus festive au repas avec des stands maquillage, lecture et jeux pour les enfants et des concerts pour l’ambiance. « On a fait l’effort de mettre de la moquette et des décorations pour faire oublier qu’on est dans un gymnase. Parce qu’il faut se rappeler que certaines personnes ici dorment dans des centres d’hébergement », conclut-elle.

J.H.


 

LES CHIFFRES DES ASSOCIATIONS

LES RESTOS DU CŒUR

23 % d’inscriptions en plus sur Grenoble

Brigitte Cotte, présidente des Restos du cœur Isère : « Nous venons de démarrer la campagne d’hiver et avec elle les inscriptions. Par rapport à 2016, on est en augmentation de 23 % sur la ville de Grenoble et de 17 % sur l’agglomération. On n’a pas forcément de nouvelles personnes, mais la population change : on accueille de plus en plus de femmes seules avec enfants,
des étudiants (nous sommes passés de 20 à 200 étudiants cette année). On commence à voir des retraités, surtout en milieu rural et, bien sûr, des migrants qu’on accueille inconditionnellement. »


LA BANQUE ALIMENTAIRE

En 2017, 1 800 tonnes de produits distribués

Christian Chédru, président de la Banque Alimentaire de l’Isère : « Pour 2017, nous allons distribuer d’ici la fin de l’année 1 800 tonnes de produits alimentaires auprès de 5 700 bénéficiaires. L’objectif que nous nous fixons est atteint : nous proposons 6 kilos de produits alimentaires chaque semaine à chaque bénéficiaire. L’idée, c’était de proposer 12 repas par semaine. On a eu de belles opportunités dans des magasins, notamment autour de Grenoble, et on “ramasse” plus de produits frais. Entre 2016 et 2017, nous avons progressé de 150 tonnes. Nous luttons ainsi contre le gaspillage et la précarité avec nos associations partenaires : 90 structures cette année (contre 85 l’an dernier). Avec notre cuisine 3 Étoiles solidaires, nous apportons plus de produits frais qu’auparavant et surtout des légumes verts ! »


LE SECOURS POPULAIRE

« 10 % de personnes accueillies en plus chaque année »

Patrick Laclie, secrétaire général de la fédération de l’Isère du Secours populaire : « Nous distribuons chaque année 150 000 aides alimentaires ; soit 20 000 personnes accueillies. Mais l’aide alimentaire est une porte d’entrée vers un accompagnement plus global, social et quotidien (les vacances, la culture, le sport, la santé, l’accès au logement et aux droits). En moyenne sur l’ensemble du département, les chiffres augmentent de 10 à 15 % chaque année. Et particulièrement en 2016, avec l’arrivée des migrants. Les arrivées dans les structures d’hébergement gérées par Adoma (les fameux anciens Hôtel F1) impactent également lourdement la vingtaine de comités du Secours populaire. Ils viennent d’Afrique bien sûr, mais aussi des pays de l’Est. »