“Le Fournil”, accueil de jour pour personnes précaires, est en difficulté financière

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27/07/2017 - article du Dauphiné Libéré
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L’association Le Fournil doit prendre des mesures d’économie alors que la demande sociale n’a jamais été aussi forte


Ce n’est pas un appel au secours, mais presque. En avril déjà, l’association Le Fournil avait échappé de peu à la cessation de paiement mais la voilà au pied du mur, contrainte de prendre des décisions radicales dans un contexte plus tendu que jamais. « Nous sommes à 100 % dépendants des financements publics », explique Joris Schotte, le directeur.

Or, la tendance des subventions est à la baisse mais ici, dans des locaux qui mériteraient plus qu’un rafraîchissement, ce sont 25 000 repas qui ont été distribués en 2016 avec l’explosion d’une demande sociale en raison, notamment, de la crise des migrants. Une croissance des besoins qui va de pair avec un horizon complexe : « En juin 2018, le bâtiment doit être rasé pour le futur quartier Flaubert. Et à notre question sur notre relogement (le terrain appartient à la Ville), le président de la Sem Sagès (l’aménageur) nous a répondu : “On fait de l’immobilier, pas du social” ! »

Mais face à l’urgence de la fin d’année, l’horizon 2018 semble de toute façon un peu lointain pour une association qui vient en aide aux plus fragiles : « Les SDF sont minoritaires, expliquent Joris Schotte et Brigitte Ménage, la présidente. Ce sont des personnes âgées avec peu de ressources, des gens qui ont besoin de rompre avec leur isolement, des hommes qui sortent de prison sans solution, des femmes isolées, des parents avec des enfants malades à charge et des migrants… » Autant de personnes qui trouvent là un réconfort, un repas de midi pour un euro, un coup de main pour leurs démarches administratives ou simplement un lavabo pour une maigre toilette.

Mais cet engagement a des limites, celles d’un compte en banque qui se réduit comme peau-de-chagrin et de moyens alloués en constante diminution. « J’ai une colère retenue contre l’État qui doit pourtant prendre en charge ces différents publics », avance Joris Schotte. Une colère et un pragmatisme qui a débouché sur des solutions de redressement assez radicales : « Nous nous séparons d’un employé en CDI (il en reste trois qui passent de 35 à 30 heures). Et nous devons fermer tout le mois d’août face au déficit dû aux baisses de subventions de l’État et de la Métropole notamment. On doit atteindre l’équilibre budgétaire ».

Seulement, face aux chiffres (et l’association le sait bien), il y a des réalités, humaines dramatiques ; « oui ça génère des inquiétudes pour l’aide alimentaire. À Grenoble, pendant trois semaines, il n’y aura quasiment rien pour faire face à la demande. Il nous a fallu des années pour donner du sens, pour construire ce projet et un seul financeur peut tout déconstruire… »

À sa réouverture le 4 septembre, l’accueil n’ouvrira que quatre jours par semaine, contre cinq jusqu’à maintenant, limitera ses repas à 90 personnes par jour et exigera une participation d’un euro (une tolérance existe pour ceux qui déclarent n’avoir aucun revenu). Brigitte Ménage souffle : « En août pour certains, ça risque d’être compliqué ».

Jean-Benoît VIGNY

Jack, bénévole : « On a de plus en plus de demandes et pourtant, les ressources diminuent… »


Jack est arrivé au Fournil en tant que bénéficiaire il y a cinq ans. Et depuis deux ans, il aide à la préparation de la salle de repas. « Ici je fais la mise en place, je mets la table après le passage de quelqu’un qui vient faire le ménage ».

Comme lui, ils sont une vingtaine de bénévoles à s’impliquer pour que l’association puisse tourner, « je viens trois fois par semaine et les deux autres jours, je suis à Point d’Eau et aux Restos du coeur. » Un emploi du temps de la générosité « absolument normal » dit-il. « Oui, c’est du bénévolat complet mais, de mon côté, je n’ai pas de problèmes financiers parce que j’ai une Allocation adulte handicapé. Bien sûr, je ne roule pas sur l’or. Mais il est tout à fait normal d’aider. J’ai vécu de 18 à 21 ans en centre pour handicapés et il y a une forte entraide entre nous. Pour moi, c’est donc évident de redistribuer aux autres ».

Une évidence qui ne coûte donc pas un centime à la société et un constat, qu’il dresse comme beaucoup à Grenoble : « Auparavant, il y a quelque temps, 80 repas suffisaient par jour. Là, en hiver ou au printemps, on est monté jusqu’à 130 repas, on était obligé de faire deux services. Il y a beaucoup de migrants qui arrivent. L’aide que nous apportons ici est utile, il y a de plus en plus de demandes et pourtant, les ressources diminuent. Il y a un problème quelque part… »

J.-B.V.

Jean-Louis Cotte, l’un des fondateurs du Fournil : « Ça ne va pas en s’arrangeant… »


Il y a 21 ans, c’est lui qui avait entamé une démarche pour créer un lieu d’accueil à destination des SDF à Grenoble : « On s’était mis place de Verdun, devant la préfecture et on avait amené un four à pain. C’est de là que vient le nom du “Fournil”. On n’était absolument pas pris en compte mais bon, ça n’a guère changé, c’est toujours le système D qui domine ».

Jean-Louis Cotte a passé quatre ans à la rue « avec de bons et de mauvais moments, dit-il aujourd’hui. Mais je suis tombé dans l’alcool. C’est le père Fréchet qui m’en a sorti, de l’alcoolisme aussi ».

21 ans plus tard, il a donc une clé, un toit « et une petite retraite de 700 €. Une fois que j’ai tout payé, il ne me reste plus rien ». Au Fournil, qu’il fréquente encore, « Joris (Schotte, le directeur) m’aide pour les papiers. Il en manque toujours un pour l’administration quand elle ne redemande pas trois fois les mêmes. Quand on s’énerve parce qu’on ne reçoit pas les aides auxquelles on a droit, ils font intervenir le vigile. Et puis, quand on parle de nos difficultés à une assistante sociale elle nous dit d’aller aux Restos du coeur… »

Installé sur une petite chaise à l’ombre des préfabriqués du Fournil, Jean-Louis porte un regard amer sur la situation actuelle du lieu comme de la société : « Ça ne va pas en s’arrangeant. Certains ont même honte de venir ici, par orgueil, mais vraiment, on est mal barré. Des logements pourtant, il y en a ».

Dans le bureau du directeur trône encore une ancienne photo de lui, vingt ans de moins.

Vingt ans ont passé sur son visage, vingt ans ont passé pour les précaires. « Quand je peux aider, je le fais. Mais la situation empire ».

J.-B.V.