L'été, la solidarité ne prend pas de vcances

Accroche
Aux Restos du coeur, à la Banque Alimentaire ou avec le Véhicule d’intervention contre l’indifférence, les besoins sont aussi importants et les bénévoles manquent parfois.
Qu’elles organisent des maraudes, collectent de la nourriture ou préparent directement des repas, les associations solidaires sont aussi occupées l’été que l’hiver. Rencontres avec leurs responsables et leurs bénévoles, souvent débordés.
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Banque Alimentaire de l'Isère : des repas fournis à plus de 5 000 bénéficiaires chaque semaine


Ce n’est pas parce que l’été bat son plein et qu’il fait chaud que les plus démunis n’ont pas besoin d’aide. Les gestes solidaires sont en effet souvent associés aux périodes hivernales, lorsque des collectes sont organisées. Mais même l’été, des associations tournent à plein régime, comme la Banque Alimentaire de l’Isère.
Son directeur, Sylvain Géry, n’a cependant pas trop à se plaindre : « On ne manque pas de bénévoles, ce sont eux qui viennent à nous. » En plus des cinq salariés à temps plein, ils sont en effet 170 à se relayer pour préparer les distributions qui se font du lundi au jeudi. Des profils divers, des retraités aux étudiants. Parmi ces derniers, beaucoup viennent dans le cadre du dispositif “Pass’Région”. Celui-ci permet à ces lycéens de se voir financer par la Région 1 000 euros pour leur permis de conduire ou 200 euros pour le passage du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa). De quoi les inciter à s’engager dans la vie associative, donc, puisque 150 heures de bénévolat sont requises afin d’obtenir cette contrepartie pour le permis ou 35 heures pour le Bafa. D’autres viennent spontanément, comme Léa, étudiante de 18 ans. Depuis l’année dernière, elle donne de son temps pendant les vacances : « Mon grand-père a été président et trésorier de la Banque Alimentaire et j’avais envie de faire du bénévolat. Donc je viens quelques jours par semaine. »
Mais, à la Banque Alimentaire, la distribution ne se fait pas directement auprès des bénéficiaires. Elle livre en fait 90 associations ou centres communaux d’action sociale (CCAS) partenaires dans le département. Les structures sont approvisionnées chaque semaine, tout au long de l’année. « Pendant l’été, le nombre d’associations conventionnées baisse de 40 %, mais on distribue autant de nourriture », explique Sylvain Géry. « On donne donc plus aux associations qui restent. »
Chaque jour, ce sont ainsi entre quatre et cinq tonnes de nourriture qui transitent de la Banque Alimentaire aux associations. Sur l’année 2017, cela représente donc plus de 2 000 tonnes de denrées alimentaires livrées. Les produits frais sont fournis par les grandes surfaces, conformément à la loi Garot contre le gaspillage alimentaire. Il s’agit alors de denrées dont la date limite de consommation approche. Les bénévoles sont toutefois très vigilants à ce sujet et trient quotidiennement les approvisionnements. La Banque Alimentaire bénéficie également de dons du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) ou encore de la part d’entreprises agroalimentaires. Enfin, une grande collecte annuelle a lieu au mois de novembre pour inviter chacun à donner.
« La première association de distribution alimentaire de France », comme le rappelle le responsable de la communication Alain Provost, ne souffre donc pas de pénuries estivales. Elle fournit ainsi des repas à plus de 5 000 bénéficiaires par semaine. Pour Alain Provost, c’est la preuve, s’il en fallait encore une, que « la misère ne s’arrête pas en été ».
Clément GRILLET

 

Aux Restos du coeur, des bénévoles débordés


Il est 11 heures ce mardi et quelques personnes patientent déjà devant le portail des Restos du coeur au centre Chorier, à Grenoble. Celui-ci n’ouvre ses portes qu’à 11 h 30.
À l’intérieur, les bénévoles terminent leur repas et préparent les tables. Parmi eux, Marguerite. Cette retraitée au franc-arler s’agace d’une situation difficile à tenir : « On est seulement quatre en ce moment et on a accueilli 137 personnes mardi dernier, 104 hier… »
L’été aux Restos du coeur est en effet souvent synonyme de pénurie de bénévoles. Il faut pourtant préparer les repas bien sûr, mais aussi nettoyer la salle et les tables, accueillir les bénéficiaires et gérer la distribution. Ce jour-là, un nouveau bénévole doit même être formé. Alors forcément, Marguerite et son équipe sont débordées : « Aujourd’hui, j’ai proposé d’utiliser des assiettes en carton, pour gagner du temps sur la vaisselle. » Il faut aussi composer avec des stocks limités. Le centre Chorier n’est pas en mesure d’assurer la préparation de colis à emporter ce jour-là. « On recommencera à les proposer la semaine prochaine », espère Sandra, responsable de l’approvisionnement.
À 11 h 28, le portail s’ouvre enfin, laissant entrer des dizaines de personnes. Des hommes, des femmes, des seniors ou des plus jeunes et même des familles avec enfants.
Certains ne veulent pas parler, de peur que leur entourage ne découvre qu'ils viennent ici. D’autres, comme Lorenzo, ne s’en cachent pas : « Je viens de temps en temps, ça me permet de voir des amis. Je suis très connu des bénévoles ! »
Marie-Thérèse aussi vient chercher de la compagnie : « Je vis seule, alors ça fait du bien de sortir de la maison. » D’autres viennent car ils n’ont pas de logement. C’est le cas de Bohbouhyd qui vit dans la rue depuis le mois d’avril, après un divorce. On peut aussi croiser des gens venus d’un peu plus loin, comme Robin [Le prénom a été modifié]. Lui est arrivé en stop ce jour-là, depuis les Hautes-Alpes. « J’avais peur que le centre de Gap soit fermé, donc je suis venu à Grenoble, comme c’est une plus grande ville. Je voulais un colis pour faire des provisions, mais il n’y en a pas, alors je vais demander ailleurs avant de rentrer. »
En attendant que le repas soit prêt, certains prennent un café, d’autres s’attablent déjà pour discuter, un couple remplit un biberon d’eau à son bébé… Midi arrive et ils sont maintenant plusieurs dizaines à faire la queue pour récupérer leur plateau. Au menu aujourd’hui : macédoine de légumes, steak haché et blé, fromage et melon. Certains se doublent, mais les bénévoles les rappellent à l’ordre. En cuisine, on s’active : le service promet d’être long.
Clément GRILLET


« On n’a pas assez de bénévoles »


On compte sur vous ! Ce slogan des Restos du coeur, répété chaque année lors du concert des Enfoirés, est toujours d’actualité… Bien qu’on l’oublie parfois en ce mois d’août. « C’est incroyable le nombre de personnes qui pensent que les Restos du coeur ne fonctionnent
que l’hiver », constate Brigitte Cotte, présidente départementale de l’association.
Pendant cette période estivale où beaucoup partent en vacances, les Restos manquent cruellement de bénévoles, plus encore que de nourriture. « Aujourd’hui, on aimerait bien pouvoir ouvrir tous nos centres en été », reprend la présidente. Mais les effectifs trop faibles ne le permettent malheureusement pas. Ils sont pourtant 980 bénévoles en Isère, mais « en été, il n’en reste que 40 % par rapport à l’hiver ».
Une situation d’autant plus complexe que les Restos du coeur ne se contentent pas de préparer et distribuer des repas. « On a des coiffeurs, de la distribution de vêtements, de l’aide au budget… », énumère Brigitte Cotte. Sans oublier les cours de français pour les migrants arrivés dans l’Hexagone. Mais là encore, le manque de main-d’oeuvre se fait ressentir : « On a pu gérer les cours au mois de juillet, mais pas en août. » La présidente des Restos du coeur isérois lance donc un véritable appel.
C.G.


L’été, lorsque beaucoup d’autres associations sont en congé, le Samu social doit compenser


Il est 20 h 30 au local du Véhicule d’intervention contre l’indifférence (Vinci) à Grenoble. Annaëlle, 26 ans, dégèle du pain. Elle sera ce soir responsable de la maraude. Fabien, 41 ans, charge le break aménagé avec des brioches, des bouteilles d’eau… et des “Vache qui rit”, « notre petit plus à nous, chez Vinci. Un petit fromage et les langues se délient. » Valentin, 24 ans, est au téléphone avec le 115. Il recense les différents signalements faits au Samu. À 20 h 45, il y en a onze : une trentaine de personnes sont au programme provisoire. « C’est tout de même beaucoup, estime-t-il. Et on en aura davantage, le Samu nous rappelle dans la soirée pour les nouveaux signalements. » En juillet et août, la pression est plus forte sur cette association qui maraude toute l’année, car beaucoup d’accueils de jour ou d’autres structures sont fermés. Il y a également moins de personnes disponibles pour aider, la plupart étant en vacances. Depuis le début de l’été, trois maraudes ont été annulées faute de bénévoles, alors que l’association aide une soixantaine de personnes chaque soir.
Vers 21 heures, la voiture démarre. Chasubles jaune fluo sur le dos, les bénévoles partent à la rencontre de la première famille. Un couple et trois enfants. Le dernier a deux mois. La famille est albanaise et ne parle qu’anglais. Le père était policier dans son pays. Il dit avoir préféré fuir pour protéger sa famille de menaces reçues par ses chefs. Cela fait quatre jours qu’ils sont là. Le père explique, la voix pleine d’émotions : « J’ai laissé mes parents là-bas. J’avais une maison, tout ce qu’il me fallait. Mais la sécurité de ma famille est plus importante. » Celle-ci est assise sous une couverture tendue entre un arbre et une barrière. Les bénévoles leur proposent de la soupe et du chocolat chaud. Ça et discuter, c’est tout ce qu’ils peuvent faire. D’autant qu’ ils ne peuvent pas s’éterniser. Avant qu’ils partent, le père tient à exprimer sa reconnaissance : « Je n’ai pas les mots pour décrire le bien que vous nous faites. C’est merveilleux », assure-t-il, les yeux humides. « Ce n’est pas grandchose… », répondent les bénévoles.
Ils font le tour du quartier, mais ne réussissent pas à trouver une femme de 18 ans, signalée, enceinte. Elle ne recevra pas d’aide ce soir… « On ne peut pas aider tout le monde, soupire Fabien, lucide. Notre but, à Vinci, c’est de renvoyer vers des structures existantes. » En été, beaucoup ferment pour congés. Parfois, l’équipe trouve des gens endormis : « On ne les réveille pas. On estime que le plus dur dans la rue, c’est de s’endormir », ponctue Fabien.
Toute la nuit, les bénévoles tournent. En plus des personnes signalées, ils aident aussi celles qui les interpellent, dans la rue. Qu’ils aient un abri ou non, à la rue depuis quatre jours ou deux ans, le Samu social ne juge pas. Le suivi des démunis s’effectue grâce à un logiciel. De fait, chaque maraude sait où en est la famille ou la personne dans ses démarches administratives.  « Ce sont des gens différents chaque soir, mais il y aura toujours quelqu’un », assure Fabien lorsqu’on lui demande s’il sera là demain.
Même en saison estivale, la nuit, il fait froid. Seulement, en cette période, moins d’associations sont mobilisées. Alors, Éric Rocourt, président du Samu social, tire la sonnette d’alarme. Vinci distribue cet été des boîtes de sardines et davantage de pain pour compenser l’absence d’associations alimentaires. Depuis trois ans, les besoins augmentent, mais pas les financements. « Avant, on ne voyait pas de familles avec enfants dans la rue. Le public a évolué. »
Raphaëlle GRIFFON