Les dons alimentaires cruciaux face à la hausse de la précarité

Collecte nationale
24/11/2023 - article du Dauphiné Libéré
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Les dons alimentaires cruciaux face à la hausse de la précarité

La collecte nationale des Banques Alimentaires qui débute ce vendredi dans les supermarchés est plus que jamais cruciale, face à la forte hausse de la demande d'aide.

Plats cuisinés, boîtes de conserve ou paquets de pâtes... À partir de ce vendredi et jusqu'à dimanche, se déroule la collecte nationale des Banques Alimentaires dans les supermarchés. Et les 120 000 bénévoles en gilet orange mobilisés pour l'opération vont redoubler de dynamisme pour convaincre les Français d'y participer.

« Cette collecte représente 10 % de nos approvisionnements. L'an dernier, elle avait permis de récolter l'équivalent de 18 millions de repas, mais cette année, notre objectif est d'atteindre 24 millions de repas », explique Laurence Champier, directrice générale de la Fédération des Banques Alimentaires, qui fournit 6 000 associations, épiceries solidaires et centres communaux d'action sociale.

Car cette année, l'inquiétude plane face à la montée de la précarité. En 2022, les Banques Alimentaires ont aidé 2,4 millions de personnes, un chiffre en hausse de 9 % sur un an. Et ce n'est pas fini: « On va terminer l'année sur une nouvelle augmentation de 10 % des bénéficiaires », prévient Laurence Champier. Elle n'est pas la seule à sonner l'alarme. Mardi, les Restos du cœur ont lancé leur 39e campagne de distribution alimentaire et ont annoncé que pour la première fois de leur histoire, ils étaient obligés de refuser des inscriptions, faute de moyens.

La Croix-Rouge, qui a distribué 62 millions de repas en 2022, est aussi sur les dents : « La tendance à la hausse se confirme sur les premiers trimestres de 2023 sur la base d'une progression de 22 % en 2022 », rapporte Charlotte Guiffard, directrice de l'inclusion au sein de l'association.

La faute à l'inflation, selon Laurence Champier. « Les plus précaires sont les plus touchés par la flambée des prix de l'énergie et de l'alimentation. Hier, ils jonglaient avec les promotions pour s'en sortir, aujourd'hui ils n'y arrivent plus. » De nouveaux profils de bénéficiaires sont apparus, constate Charlotte Guiffard. « De plus en plus de jeunes, de travailleurs pauvres et de familles mono-parentales nous sollicitent », précise-t-elle. Et les nouveaux inscrits ne remplacent pas les anciens, qui ont toujours besoin d'aide : « Plus du tiers des bénéficiaires ont recours à l'aide alimentaire depuis moins de 6 mois », observe Laurence Champier. Les coups de pouces sont aussi nécessaires plus souvent : « Des personnes qui venaient une fois par mois, frappent désormais à notre porte une fois par semaine », poursuit-elle. Afin de faire face à cette hausse de la demande, certaines associations sont obligées de faire quelques aménagements : « On a été contraint de réduire un peu le volume des paniers distribués », indique Charlotte Guiffeud.

Pour passer ce cap difficile, les Restos du cœur demandent au gouvernement de mettre en place un « plan d'urgence alimentaire », « en portant le budget dédié aux associations d'aide alimentaire à 200 millions d'euros, contre autour de 150 aujourd'hui », indique l'association dans un communiqué publié mardi. Le plafond du dispositif Coluche (qui permet de défiscaliser 75 % des dons) a été porté à 1 000 euros après la crise sanitaire jusqu'au 31 décembre 2023. Les associations espèrent sa pérennisation. Elles rivalisent aussi d'inventivité pour inciter les Français à la générosité : braderies, spectacles, bals... Et beaucoup d'entre elles ont étoffé leurs équipes de marketing de rue pour tenter d'engranger des nouveaux donateurs. Cela suffira-t-il ?

Delphine Baucaud

L'arrondi à la caisse pour des dons simplifiés

« Voulez-vous arrondir le montant de vos achats de 17,65 à 18 euros ? » Aujourd'hui, plus de 15 000 magasins de 48 enseignes proposent à leur clientèle d'arrondir à l'euro supérieur de quelques centimes leur note lors d'un paiement par carte bancaire pour soutenir une cause ou une association : Monoprix, Franprix, Auchan, Carrefour, Sephora, Picard, Fnac, Gémo et d'autres.

Des centaines d'associations ont déjà bénéficié de ce coup de pouce : les Restos du cœur, la Banque Alimentaire, le Secours populaire, la Croix-Rouge, Les Frigos solidaires et bien d'autres.

Ces « micros dons » existent en France depuis 2009, à l'initiative de MicroDON, une entreprise solidaire d'utilité sociale (Esus), qui a développé « L'arrondi », une solution de dons simplifiés. Concrètement, l'entreprise s'occupe d'installer la solution dans les terminaux de paiement des grandes enseignes. Puis, elle est en charge de l'activation de la campagne de don (de plusieurs semaines à plusieurs mois selon le choix de l'enseigne) et reverse l'argent récolté à l'association. « On a un rôle de tiers de confiance à jouer : au-delà de l'aspect technique, on garantit le bon fonctionnement de la campagne, que l'association soit bien d'intérêt général, etc. », nous détaille Mathieu Jubré, directeur associé de MicroDON.

Les enseignes sont libres de choisir l'association ou la cause qu'elles ont envie de soutenir, ainsi que la durée de la campagne de dons. Ce sont aussi elles qui décident du montant de l'arrondi, qui, la plupart du temps, se fait à l'euro supérieur. Elles ne touchent pas un centime sur les dons et reversent la totalité de la collecte aux associations bénéficiaires. Elles ne bénéficient donc pas d'une défiscalisation liée au montant des dons collectés. De son côté, MicroDON récupère 10 % du total des dons allant à l'association pour se financer. Une lucrativité limitée à son bon fonctionnement. « Notre objectif est clair, c'est le financement des associations bénéficiaires via des petits dons facilités dans notre quotidien », complète-t-il.

Pour financer ce système d'« arrondi » proposé par MicroDON, ce sont les entreprises participantes qui prennent en charge le déploiement technique et la gestion opérationnelle. « Le coût est difficile à estimer, il dépend du système informatique, du nombre de magasins et de terminaux de paiement. Les enseignes participantes prennent donc un engagement vis-à-vis du monde associatif et sont prêtes à payer pour soutenir les associations », relève le directeur associé de MicroDON.

Et ça fonctionne. Selon une étude réalisée par OpinionWay en novembre 2023 (*), 44 % des Français ont déjà fait un don via « l'arrondi » en caisse. En 2022, 12 millions d'euros ont été collectés et reversés via ce système. Pour 2023, vu les dons déjà comptabilisés, ce chiffre pourrait grimper jusqu'à 15 millions d'euros.

Audrey Vermorel

(*) Étude réalisée entre le 15 et le 19 juin 2023, sur un échantillon de 1 026 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Zoom - Le profil des bénéficiaires

Une étude des Banques Alimentaires publiée en février et réalisée sur un échantillon de 1 200 personnes permet d'en savoir plus sur les bénéficiaires de l'aide alimentaire. Selon celle-ci, 94 % des personnes accueillies sont sous le seuil de pauvreté. Près de la moitié d'entre elles habite un HLM. Et près d'une sur deux vit de minima sociaux. Les personnes seules représentent 41 % des bénéficiaires et 31 % sont à la tête d'une famille monoparentale. Quant à l'âge moyen des personnes aidées, il est de 49 ans. Ces dernières années, les profils des bénéficiaires sont de plus en plus hétérogènes : 17 % sont retraités et 17 % ont un emploi. L'impact de la précarisation de l'emploi est manifeste. Ainsi, les deux tiers des travailleurs pauvres accueillis ont des contrats à temps partiel. Et le revenu moyen des bénéficiaires qui travaillent est de 1 700 euros. À noter aussi : 60 % des personnes accueillies vivent en zones périurbaines ou à la campagne. Et 71 % d'entre elles déclarent avoir au moins un problème de santé. Parmi les produits qu'elles demandent le plus figurent la viande, le poisson, les œufs, les fruits et les légumes.

Témoignages « Je donne toujours un peu car il y a plus malheureux que moi »

« Je donne systématiquement dès que je vois une collecte dans mon supermarché », confie Martine,59 ans, qui habite Marange-Silvange (Moselle). De nombreux Français, dont nos lecteurs ayant répondu à notre appel à témoignages, s'apprêtent à faire un petit détour après la caisse pour donner les produits qu'ils ont achetés pour les plus démunis. Chez Marie-Dominique, 65 ans, de Colmar (Haut-Rhin), c'est un geste systématique :« Je donne depuis toujours aux Banques Alimentaires. Et si je ne peux aller dans un magasin les jours de collecte, je fais un chèque. » Et même si le chariot de courses de Stéphanie, 50 ans, de Saulon-la-Chapelle (Côte-d'Or), coûte plus cher cette année. « l'inflation ne changera en rien les habitudes, je donnerai aux associations présentes là où je fais mes courses ». Contribuer est d'autant plus facile pour Michèle, 68 ans, de Montigny-lès-Metz (Moselle) que « ce modo de collecte est facile et qu'on a le sentiment de participer directement ».

Une générosité qui rime avec empathie pour Émilie, 40 ans, de Bévenais (Isère) :« Je me dis que je serais heureuse qu'on me soutienne, si c'était mon tour d'être en difficulté. » Même logique chez Pascal, 61 ans, d'Altkirch (Haut-Rhin) : « Malgré mon faible revenu (je touche une pension d'invalidité), je donne toujours un petit peu, car il y a plus malheureux que moi. ››

Reste à savoir quoi donner. Luc, qui habite à Urmatt (Bas-Rhin), focalise sur les produits de première nécessité « pâtes, riz, sauce et aliments pour bébé », décrit-il. Michèle, elle, préfère se laisser guider : « Je choisis les produits conseillés par les bénévoles présents (alimentaire, hygiène, fournitures scolaires, etc.). Ce qui est facilité par l'hypermarché disposant des palettes de ces produits bien en évidence. » Émilie a un autre réflexe : « Je donne surtout les produits plus rarement achetés par les autres : couches, serviettes hygiéniques, etc. »

Mais cette année, certains clients des supermarchés ne donneront pas. Inflation et difficultés économiques obligent. C'est le cas de Marcel, 75 ans, de Marlenheim (Bas-Rhin) : « Avec les augmentations injustifiées de l'électricité et du gaz, je n'ai plus rien à donner », confie-t-il. Carinne, 54 ans, de Forstfeld (Bas-Rhin) a aussi renoncé à participer aux collectes alimentaires, alors qu'elle le faisait systématiquement il y a quelques années. « Depuis que notre fille travaille,je me suis rendu compte qu'avec son salaire juste au-dessus du Smic, ce n'était pas facile. Priorité à elle donc ! On l'aide à remplir le frigo régulièrement, voire à entretenir son véhicule. »

D.B.